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Le « marché interdit », l’enfumage de Carrefour sur les semences paysannes

En août 2016 et en mars 2017, j’ai poussé un coup de gueule contre les demandes contradictoires que subissent les paysans : on a parfois l’impression très nette d’être pris entre le marteau et l’enclume, tout spécialement en tant que maraîcher bio. Malheureusement, les choses ne vont pas en s’arrangeant : Carrefour vient de créer son « marché interdit » pour semences paysannes. Et cela n’annonce rien de bon pour le développement d’une agriculture authentique et durable.

article août 2016 : https://www.agoravox.fr/actualites/environnement/article/oui-je-cultive-des-tomates-f1-et-183846
article mars 2017 : https://www.agoravox.fr/actualites/environnement/article/kokopelli-biocoop-et-si-on-190329

 

J’ai découvert la semaine dernière que Carrefour avait lancé un « marché interdit », censé faire la promotion de l’agriculture biologique ET des semences paysannes. Je suis donc allé faire un petit tour au Carrefour du coin : grands panneaux noirs, meubles noirs, photos de producteurs d’artichauts et de carottes aussi gais que des pierres tombales. Pas vraiment l’image habituelle que la grande distribution veut donner à ses clients. Donc c’est vrai que ça interpelle, surtout quand on lit les messages comme quoi la loi interdirait la commercialisation de ces légumes. On aurait presque l’impression que Carrefour serait devenu une sorte de délinquant ! Le problème, c’est que ça sent plus l’opération marketing à destination des clients que la vraie remise en question des relations avec les agriculteurs.

 

Si aujourd’hui le monde paysan va aussi mal, c’est que la grande distribution a écrasé les prix depuis des décennies. Une partie des agriculteurs se sont mis à la bio pour être mieux rémunérés, en plus de vouloir produire autrement. Pourtant, aujourd’hui la pression de Carrefour et consorts pour faire baisser les prix commence aussi à se faire sentir en agriculture biologique.
La com’ se garde donc bien de rappeler qu’en tant que chaîne d’hypermarchés, Carrefour a largement contribué à l’appauvrissement de la diversité des fruits et légumes, et de ceux qui les produisent. Les Leclerc, Auchan, Système U ne sont pas mieux : ils ont poussé à la standardisation extrême, et tous les fruits et légumes pas « standards » partent à la benne, alors qu’ils sont tout à fait comestibles. La grande distribution a poussé à produire toujours plus pour payer toujours moins des millions de petits producteurs, dont beaucoup sont restés sur le carreau. C’est donc un peu fort de café de blâmer tout le monde, sauf les principales responsables : les grandes surfaces !
La logique de Carrefour est d’autant plus dégueulasse, que l’entreprise sait très bien comment faire pour que l’agriculture aille mieux : la contractualisation. C’est-à-dire que l’enseigne s’engage à acheter d’avance à un prix déterminé la production du paysan. Dès lors, celui-ci n’a plus à s’inquiéter des cours du marché et de la concurrence étrangère, il se focalise sur la qualité de sa récolte. Et c’est exactement ce que Carrefour a fait pour les quelques producteurs sélectionnés pour son « marché interdit ». Dommage que la grande surface ne le fasse pas aussi pour les autres agriculteurs, bio ou non.

 

Pour justifier une telle différence de traitement, Carrefour se fait le grand défenseur des semences paysannes, qui seraient interdites par la loi. En général, on résume le sujet en disant que ce sont des semences « libres » : vous gardez une partie de vos graines et vous les replantez l’année suivante. En fait, c’est un peu plus compliqué, on a le droit de faire ça avec toutes les semences, même celles qu’on a achetées l’année précédente en magasin.
La vraie différence entre les semences « normales » et « paysannes », c’est que ces dernières ne sont pas clairement définies. C’est-à-dire que pour un même nom de variété, deux graines donneront peut-être naissance à deux plants assez différents. Ce qui n’est pas une bonne surprise pour un maraîcher professionnel comme moi : les plants n’auront pas les mêmes caractéristiques (taille, levée, maladie etc) et leurs récoltes n’auront pas forcément lieu en même temps. Plutôt embêtant quand vous avez plusieurs hectares à gérer et des clients à livrer à des dates précises… C’est pour ça qu’il y a des contrôles pour vérifier que les semences achetées feront bien pousser une plante précise, dont on connaît justement les caractéristiques. Les semences « paysannes » sont en fait les recalées ou celles qui n’ont jamais été enregistrées pour vérification. Et effectivement, on ne peut en théorie pas les acheter, faute de garanties suffisantes.
Un autre malentendu est d’assimiler « semences paysannes = variétés anciennes ». C’est vrai pour certaines, mais pas pour toutes. Il y a aussi des variétés modernes, mais qui n’ont pas fait l’objet d’un travail de sélection par des maisons semencières. Elles ont plutôt été créées ou entretenues par des amateurs ou par des groupements d’agriculteurs (dont c’est très rarement la principale variété en culture). Comparés aux variétés généralement utilisées, le rendement et la résistance aux maladies des variétés paysannes sont souvent en retrait. Elles peuvent donc être adaptées pour un jardinier amateur, mais beaucoup ne le sont pas pour un maraîcher professionnel.
Ceux qui ne jurent que par les variétés paysannes (coucou Kokopelli !) mettent en avant qu’elles seraient mieux adaptées à leur terroir et auraient plus de goût. Pour ce qui est du terroir, c’est vrai : elles sont adaptées puisqu’elles y poussent, mais les variétés vendues dans le commerce le sont aussi. Et pour le goût, il faut surtout prendre en compte la saison et le lien avec la terre, deux choses auxquelles la bio est très attachée. Une tomate cultivée en hydroponie au mois de janvier, il est certain qu’elle aura moins de goût qu’une tomate de pleine terre et cueillie au mois de juillet.

 

En fait, je soupçonne Carrefour de vouloir faire exactement l’inverse de ce qu’il annonce : casser le patrimoine paysan et gastronomique français ! Les noms des variétés paysannes commercialisées par la grande surface sont d’ailleurs très révélateurs.
« L’oignon rose d’Armorique », ça sonne breton, et a priori les producteurs sélectionnés par Carrefour sont bretons, mais l’appellation elle ne renvoie en fait à rien ! Par contre, il existe une vraie appellation bretonne : « l’oignon de Roscoff » qui est une appellation d’origine contrôlée (AOC). Cela signifie que quand vous achetez un oignon de Roscoff, vous achetez un oignon qui renvoie à une histoire centenaire (les johnnies), à un terroir et à des oignons « Jack » ou « Keravel », qui sont des variétés tout à fait légales et « paysannes », dans le sens où elles font partie d’un pays, d’un terroir.
L’« oignon rose d’Armorique », c’est donc un nom marketing : on ne sait pas quelle variété, quel terroir. Et la chose se répète pour les autres légumes « interdits » de Carrefour : « les haricots coco du Trégor », ce sont en fait des « cocos de Paimpol » mais sans l’AOC. Idem pour l’artichaut « Camus du Léon », en réalité il s’agit du « Camus de Bretagne ». Pour la « courge butternut kouign amann », faute d’en avoir trouvé en magasin, je me contenterai de dire que la différence avec les autres variétés de courges ne saute pas aux yeux sur les photos. Quant à son nom, on dirait un pur produit d’agence marketing : un anglicisme (butternut au lieu de doubeurre en français) associé à kouign amann, sans doute pour faire plus local et donner faim (un bon kouign amann, ça ne se refuse pas !).

 

Pour défendre l’authenticité des produits comme semble vouloir le faire Carrefour, on a vu mieux. Le consommateur ne dispose que de la parole de la chaîne de magasins, il n’a pas d’autre garantie sur l’aspect « terroir » de ce qu’il achète (le label « agriculture biologique » renvoie lui aux conditions de culture).
En fait, cela donne plutôt l’impression que Carrefour veut créer ses propres appellations pour se démarquer de ses concurrents. L’enseigne ne fait d’ailleurs pas plus d’efforts que les autres pour défendre les AOC (et pas des noms marketing) comme le coco de Paimpol actuellement en danger de disparition. La faute, encore une fois, à la pression sur les prix exercée par les grandes surfaces, qui ne font rien pour valoriser ce patrimoine commun gastronomique.


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11 réactions à cet article    


  • zygzornifle zygzornifle 27 septembre 2017 13:40

    par contre l’enfumage de la clientèle a grand coup de pub de merde est vivement conseillé .....


    • Le421... Refuznik !! Le421 27 septembre 2017 19:25

      @zygzornifle
      Carrefour est sur la mauvaise pente actuellement.
      Moi, perso, je boycotte les gens qui balancent mon fric illico au Luxembourg.
      Donc, Carrefour... FIRED !!

      Vous rigolez ?
      Imaginez qu’on le fasse tous.
      Le vrai pouvoir, on ne vous le dit pas, nous l’avons dans notre poche avec quelques billets, piécettes et Carte Bleue.
      Soyez juste un tout petit peu moins cons.
      Un tout petit peu.


    • Anatine 28 septembre 2017 09:01

      @Le421

      Le boycott, entrave a l’activite economique est un délit. Une alternative serait la greve de la consommation, un moyen d’agir sur l’equation économique... Une methode de revendication des retraités, une alternative a la grève dans l’entreprise... Dans une econonomie où la consommation est le moteur de l’activité.


    • Nicolas_M bibou1324 27 septembre 2017 13:56

      Evidemment que c’est un coup de com’, et que les grandes surfaces sont coupables sous la situation actuelle. Mais c’est pas forcément fondé que sur du vent. 


      Il existe environ 20 000 variétés de pomme, juste en Europe. Combien disponibles en grande surface ? A part la golden, la gala, et la granny smith... même en pépinière pour particulier, c’est compliqué de trouver plus d’une 20aine de variétés. C’est la même chose pour les variétés de tomates (12 000 variétés) et autres légumes.

      Les clients finaux sont de plus en plus préoccupés par des questions de biodiversité. Comme vous le dites, cela signifie des récoltes plus aléatoires, des récoltes plus étalées ... c’est compliqué pour les pros comme vous. Mais rien ne vous interdit de reporter cette complexité sur vos prix. Le client est roi ...

      • nono le simplet 27 septembre 2017 14:06

        « Une tomate cultivée en hydroponie au mois de janvier, il est certain qu’elle aura moins de goût qu’une tomate de pleine terre et cueillie au mois de juillet. »

        c’est plus que certain ! 
        entre un machin rond, un peu dur, de couleur vaguement rouge, sans goût et une tomate de plein air qui dégouline de la bouche quand on y croque à pleines dents il est impensable de dire que l’on mange la même chose ...
        je ne parle même pas de ces tomates qui devraient considérées comme armes de première catégorie en cas de lancer appelées plus qu’abusivement« cœur de bœuf » sous prétexte qu’elles en ont quelques bouts d’ADN et que le nom était libre de droit, alors qu’elles devraient se nommer « tomates citrouilles », autant par leur aspect que par leur goût smiley

        • foufouille foufouille 27 septembre 2017 14:58

          " Comparés aux variétés généralement utilisées, le rendement et la résistance aux maladies des variétés paysannes sont souvent en retrait. Elles peuvent donc être adaptées pour un jardinier amateur, mais beaucoup ne le sont pas pour un maraîcher professionnel."
          pas vraiment car si un amateur a la bonne variété toi aussi tu peut l’avoir mais faut faire des essais
          c’est juste plus compliqué.


          • Rincevent Rincevent 27 septembre 2017 15:52

            Carrefour joue sur les mots. Il me semble bien que ce ne sont pas les produits issus de ces semences qui sont interdits à la vente, mais les graines elles-mêmes qu’on a juste le droit de s’échanger. C’est donc bien un coup de com, Carouf ne risque absolument rien. Il crée juste des produits de niche qui devraient lui être rentables, tout en se faisant passer pour ce qu’il n’est pas.

            ’’...celles qui n’ont jamais été enregistrées pour vérification
            ..." Oui, et vous savez combien ça coûte une homologation ? Plus de 6 000 € pour une céréale et 2 000 € par an pour le maintien au catalogue sur 10 ans !


            • foufouille foufouille 27 septembre 2017 17:24

              @Rincevent
              si en théorie la vente est bien interdite.



            • Durand Durand 27 septembre 2017 17:47

              @ l’auteur Korrigan


              Vous vous en prenez à Carrefour et vous n’avez pas totalement tort dans la mesure où ce groupe possède des lobbies très actifs à Bruxelles et que ce sont ces lobbies qui poussent l’Union Européenne à adopter une politique agricole commune de standardisation des produits agricole.

              La politique qu’applique Macron et ses prédécesseurs est inscrite dans les traités que la France et ses partenaires européens ont ratifié et que la Commission Européenne est en charge de faire appliquer par chacun des états membres.

              Concernant cette problématique, c’est l’article 39 du TFUE qui s’applique :

               article 39 du TFUE : « La politique agricole commune a pour but d’accroître la productivité de l’agriculture en développant le progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production agricole ainsi qu’un emploi optimum des facteurs de production, notamment de la main-d’oeuvre. »

              Est-ce que le type d’agriculture que vous pratiquez va dans le sens de cette politique qui s’impose désormais à la France ?

              De toute évidence, la réponse est « non » et vous pouvez vous attendre à toujours plus de dificultés et toujours moins de considération de la part des services publics, comme la diminution des aides de la PAC aux agriculteurs bio, par exemple.

              Pour vous comme pour moi en tant que petits producteurs mais également pour les consommateurs exigeant une meilleure qualité des produits agricoles, il n’existe qu’une voie de salut : le Frexit !



              • Ruut Ruut 28 septembre 2017 07:06

                Carrefour c’est le magasin qui vend cher des produits bas de gamme et des fruits sans goûts ?

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