Libéralisme et démocratie : vers une symbiose ?
A l’un on prête les pires maux, à l’autre les meilleures vertus. Il n’en a pas toujours été ainsi. Le libéralisme était au départ une idéologie de défense des droits des individus, de lutte contre l’absolutisme et le despotisme. La question sera raccrochée à l’actualité brûlante, mais avant toutes choses il faut savoir de quoi l’on parle...
1 - Le libéralisme : des mots et des maux :
- Le mot "libéral" est employé pour la première fois, en 1750, sous la plume du marquis d’Argenson. Le mot « libéral » s’entend aujourd’hui comme en opposition à celui de « conservateur ». Toute censure, toute "bien-pensance", toute "pensée unique" est contraire au progrès matériel et moral, et n’est pas libérale. L’idée du libéralisme est que l’intérêt de quelques-uns favorise à terme le bien-être de tous. Déjà Spinoza déclarait : « Quand chaque homme cherche le plus ce qui lui est utile, alors les hommes sont le plus utiles les uns aux autres » (Ethique IV).
- Le mot "individualisme" est employé par Tocqueville qui critiquait la pensée matérialiste de Guizot mais le terme fut créé dans les années 1820. Il convient de ne pas confondre le libéralisme politique et le libéralisme économique. Il est bon de distinguer la tradition philosophique du libéralisme et les idées libérales du combat politique entre 1800 et 1880. Le libéralisme français, marqué par l’importance accordée à l’Etat depuis la monarchie absolue, est très différent de celui d’un Stuart Mill.
- Des mots célèbres apportent aussi un éclairage, ainsi le "Laissez-faire, laisser passer" de Quesnay (physiocrates), le "laissez-les faire" de Turgot, le "Enrichissez-vous par le travail et par l’épargne" de Guizot. Cette attitude fut critiquée par Tocqueville, le plus proche d’une symbiose possible entre libéralisme et démocratie.
- Enfin, il est utile de comprendre que le libéralisme a des valeurs. Des valeurs qu’il faut connaître, ne serait-ce que pour mieux en combattre les maux. Rappelons donc ici qu’Adam Smith, l’auteur de "Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations", considéré comme le livre fondateur du libéralisme économique, est aussi celui qui fonda le libéralisme sur le plan moral dans « Théorie des sentiments moraux ».
2 - Comment concilier aujourd’hui le libéralisme et la démocratie ?
Quelques références historiques nous y aideront.
- Le divorce théorique entre le libéralisme et la démocratie s’est cristallisé sous la Monarchie de Juillet. Les insurrections ont conduit à un renforcement de l’Etat de Charles X avec l’aide servile de Guizot, libéral qui renia ses idées pour travailler avec zèle pour un Etat centralisateur et puissant, au nom bien sûr de l’intérêt général.
- Tocqueville, opposé au matérialisme peu transcendant de Guizot, se fit le promoteur d’une sorte de libéralisme prudent qui est l’inverse d’un individualisme. Il s’inquiète du risque possible de « tyrannie de la majorité ». Il est partisan d’un système qui garantisse les droits des minorités et des individus, car inquiet pour la liberté de penser et d’agir par soi-même qui ne serait pas garantie par la responsabilité civile. Il ajoute que les nations doivent créer les conditions de l’égalité mais veiller à ce que l’égalitarisme ne nuise pas à la liberté. Cette idée sera reprise ensuite par Raymond Aron.
- Benjamin Constant opposera la liberté du commerce à la liberté des Anciens (participation des citoyens à la cité). Mais affimera néanmoins que l’individu ne peut se passer d’un minimum d’implication citoyenne et que parmi les droits de l’individu figure celui de participer aux décisions collectives. Sa thèse est d’actualité et permet de tracer les jalons de notre réflexion car il développe sa réflexion autour des moyens de concilier le libéralisme et la démocratie.
3 - Une question d’actualité :
- Il semble admis en France que le représentant du libéralisme est Sarkozy. Cette position se justifie si l’on observe que le sarkozisme est soutenu par les puissances économiques et fiancières, et qu’il repose peu sur les idées mais presque exclusivement sur l’action, action qui doit connaître le minimum d’entraves. L’idée selon laquelle il faut favoriser les riches pour le bien-être commun émerge aussi (politique fiscale, accroissement du travail). Originellement, le mot "libéral" s’oppose à celui de "conservateur" et donc à toute censure mais aussi toute « bien-pensance » qui s’impose en "pensée unique" et contraire au progrès matériel et moral n’est pas libéral. On voit bien là la ligne directrice de Sarkozy qui se revendique de la droite décomplexée. Lors d’un meeting lundi, on pu aussi entendre François Fillon s’exprimer comme le libéral John Locke qui disait qu’il n’y a pas de liberté sans la loi mais que le pouvoir exécutif a une prérogative : si le salut du peuple l’exige, il peut transgresser la loi existante.
On retrouve cependant dans l’idée de démocratie participative de Ségolène Royal les idées de Benjamin Constant, et on peut voir en François Bayrou un Tocqueville opposé à un libéralisme échevelé, respecteux des valeurs humanistes et des minorités, inquiet d’une dérive trop majoritaire qui pourrait se révéler totalitaire, et favorable à une plus grande implication des citoyens (sa déclaration du 6 juin 2007 en faveur d’une présence active de citoyens aux séances de l’Assemblée nationale).
- La dualité de Royal et le paradoxe Sarkozy : si Royal a pu prôner une démarche de démocratie participative qui a pu faire penser à Benjamin Constant, on vit qu’elle était loin d’incarner cette idée, loin aussi de la mettre en oeuvre réellement. Une dualité inconciliable entre le discours et l’attitude d’énarque rigide et peu à l’aise dans les débats a gâté cette timide initiative. Par ailleurs, le rôle excessif accordé à l’Etat - voire l’Etat-providence - n’aurait pas permis d’établir une ligne médiane, un équilibre entre la démocratie et le libéralisme. Sarkozy, lui, entend faire jouer un rôle important à l’Etat, ce qui en soi est déjà contradictoire avec le libéralisme, doctrine qui consiste à réduire le rôle de l’Etat. Mais surtout, alors qu’il défend une ligne économique très libérale, il va à contre-courant des idées libérales par sa politique : concentration des pouvoirs, restriction du débat au sein de son parti et dans l’opinion publique qu’il veut gagée à ses vues et, par conséquent, contrôlée.
Alors comment concilier libéralisme et démocratie ? Je ne me permettrai pas de conclure sur une question aussi délicate. Je me référerai à Montesquieu qui disait "La liberté ne se trouve que dans les gouvernements modérés" et qui montrait son attachement au principe de séparation des pouvoirs et à l’instauration de contre-pouvoirs. Chacun le comprendra comme il voudra...
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