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Videosurveillance : un vrai-faux rapport qui ne prouve rien

En juillet 2009, un trio de haut fonctionnaires a rendu un rapport commandé moins de six mois plus tôt par le gouvernement : « Rapport sur l’efficacité de la vidéoprotection ».  Dans l’ordre de mission, il y avait déjà les conclusions auxquelles devaient aboutir la commission. Flagrant délit de maquillage de preuves avec préméditation ?


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 Les études d’impact sur la portée réelle et qualitative sur les caméras de surveillance déployées sur la voie publique font défaut depuis des années en France. Au Royaume-Uni, champion du monde, les seules études menée avec des méthodologies éprouvées montrent justement une très faible influence de la surveillance vidéo — la "vidéoprotection", comme la novlangue gouvernementale nous incite à la nommer — sur la réduction des crimes. 

 
Jean-Pierre Sallaz, Philippe Debrosse et Dominique Han, respectivement de l’Inspection générale de l’administration (IGA), de l’inspection de la police nationale (IGPN) et de la gendarmerie (IGN), ont rendu un rapport aux petits oignons. Ils concluent ce que Le Figaro (seul à être mis au parfum, le 22 août) a appelé trop vite des "preuves d’efficacité" :
  • L’analyse des statistiques de la délinquance montre un impact significatif de la vidéoprotection en matière de prévention puisque le nombre de faits constatés baisse plus rapidement dans des villes équipées de vidéoprotection que dans celles où aucun dispositif n’est installé.
  • L’effet majeur porte sur la prévention des agressions contre les personnes qui sont celles auxquelles la population est la plus sensible, prévention efficace sous réserve qu’une densité de caméras suffisante eût été installée.
  • Le déplacement de la délinquance des zones vidéoprotégées vers celles qui ne le sont pas est faible, les dispositifs de vidéoprotection ayant un effet bénéfique sur un périmètre plus large que celui des seules zones équipées.
  • La vidéoprotection (...) joue un rôle de plus en plus important dans les missions de sécurité. (Elle participe) de façon active à la coproduction de sécurité, elle est devenue un maillon de la chaîne sécuritaire qui monte en puissance, d’autant plus que(...) les perspectives technologiques d’avenir sont prometteuses (systèmes divers de vidéo intelligente).
  • (...) La vidéoprotection est perçue comme un élément sécurisant pour les policiers en intervention car elle contribue à leur protection.
Mais alors, la "vidéoprotection", ça marche ?!! Oui mais pour s’en convaincre, il aurait fallu encore que ce rapport puisse être tout simplement rendu public, pour qu’il soit disséqué par d’autres experts vraiment indépendants. OR ce travail minutieux n’a été communiqué qu’à la mi-septembre, et mis en ligne début octobre. Un vrai communication de crise, comme je le raconte sur Numéro lambda
 
« En plein mois d’aôut, le soldat Jean-Marc Leclerc, du Figaro, qui fait par ailleurs don de sa science dans des oeuvres téléguidées par le ministère de l’Intérieur, révèle l’existence de ce fameux rapport et va évidemment dans le sens du poil.
Mais le problème, c’est que ce rapport est d’abord tamponné “confidentiel” — plutôt curieux pour un travail qui avait l’air si unanime… Il le restera jusqu’au 9 septembre. Le ministre Brice Hortefeux fait ce jour-là une visite à Sartrouville, justement pour « annoncer le co-financement de la vidéo-protection sur 75 sites prioritaires ».
Tous les journalistes présents l’ont donc eu en main ce jour-là. Mais, depuis, aucun article n’est paru — à la notable exception du journal La Gazette des communes — pour le décrypter et en offrir une vision un peu plus neutre que celle offerte par le ministère et sa Pravda officieuse, Le Figaro. »
 
Mais que cachait-t-il donc, ce rapport, pour rester dans un tiroir si longtemps ?
 
On a un bon début de réponse dans la contre-expertise qu’ont publié les sociologues Eric Le Goff et Eric Heilmann le 25 septembre sur le site de leur confrère Laurent Mucchielli (à lire ici dans son intégralité). 
 
Verbatim : 
 
La vidéosurveillance a montré son « efficacité en matière de prévention de la délinquance » affirme un récent rapport du ministère de l’Intérieur. On ne peut que se réjouir qu’il y ait enfin, en France, une tentative de mesurer l’efficacité de la vidéosurveillance. Malheureusement, dans ce rapport, qui visait à évaluer l’efficacité de cet outil et à apporter des « arguments propres à soutenir l’adhésion » des collectivités locales, rien ne permet de conclure à l’efficacité de la vidéosurveillance pour lutter contre la délinquance. (...) La conclusion des auteurs selon laquelle « le taux d’élucidation progresse plus vite dans les villes qui disposent de la densité de caméras la plus élevée » est infondée. Au terme de la lecture de ce rapport, force est donc de conclure que l’efficacité préventive de la vidéosurveillance est bien mince et son aide à l’élucidation marginale. Ceux qui affirment le contraire n’ont pour l’instant pas de preuves solides pour le démontrer.

Il semble tout simplement y avoir un gros soucis de méthodologie dans le travail des inspecteurs de l’administration ! 

[Le rapport] s’appuie sur une analyse comparative entre les chiffres globaux de la délinquance de l’ensemble des villes équipées avec toutes celles qui ne le sont pas. Le principal écueil d’une telle approche est qu’elle ne permet pas de limiter l’impact d’autres variables et d’en mesurer les effets sur la délinquance. Comme le rappellent les études évaluatives étrangères, notamment celles du Home Office (ministère de l’Intérieur anglais), quelques règles méthodologiques élémentaires doivent être respectées pour conduire ce type de travaux. 

- La première est de s’appuyer sur des études de cas contextualisées afin d’isoler l’effet propre à la vidéosurveillance au regard d’autres variables telles que l’amélioration de l’éclairage public, le renforcement des effectifs policiers ou encore un changement de leurs modes d’action.
 
- La seconde est de tenir compte des différents types de lieux où sont implantées les caméras : parkings, rues, quartiers d’habitat social, lycées, etc. On sait notamment que la vidéosurveillance est susceptible d’avoir une efficacité dissuasive dans les parkings, mais qu’elle n’en a quasiment aucune dans les rues.
 
- La troisième est de s’intéresser aux différents types de délits et de se garder de toute présentation en termes de pourcentages globaux qui ne permet pas de rendre compte de la réalité d’un phénomène. Or, les auteurs du rapport présentent systématiquement les chiffres sous forme de pourcentage sans les valeurs absolues. De plus, ils « mesurent » l’impact de la vidéosurveillance en s’appuyant sur les chiffres de la délinquance générale enregistrée. Or celle-ci recouvre des délits si divers qu’il est difficile d’en tirer un quelconque enseignement (...)
 
Faute de respecter ces règles méthodologiques, il est impossible d’inférer une éventuelle baisse d’un type de délinquance de la seule présence d’un système de vidéosurveillance. C’est pourtant le tour de force auquel se livrent les auteurs du rapport imputant mécaniquement toute baisse de la délinquance à l’installation d’un dispositif de vidéosurveillance au risque d’en tirer d’étonnantes conclusions. Ainsi, ils affirment que la vidéosurveillance a permis de contenir les atteintes aux personnes, constatant dans les villes qui en sont équipées une plus faible augmentation de ce type de délit.
Ce résultat est remarquable d’autant plus qu’il contredit ceux auxquels sont parvenus les quelques quarante études réalisées à l’étranger depuis une quinzaine d’années… (...) Les études étrangères montrent que la vidéosurveillance, si elle est bien gérée, a tendance à en faire augmenter leur nombre dans les statistiques policières. Les auteurs de ce type de faits ne cherchant pas à se cacher, ces faits qui pouvaient passés inaperçus auparavant sont un peu mieux repérés. Si la vidéosurveillance n’a pas d’effet inhibiteur sur les atteintes aux personnes, leur baisse peut donc révéler en réalité l’inefficacité du dispositif.
 
Le plus drôle si l’on peut dire c’est que dans leurs conclusions, les agents Sallaz, Debrosse et Han, avouaient l’absence d’outils d’évaluation fiables. Pourtant, ils étaient censé faire de l’évaluation. 
 
Malgré un travail important des services de police et de gendarmerie pour permettre à la mission de réaliser cette étude, force est de constater que les outils d’évaluation mis en place localement sont encore trop parcellaires. Or ils sont indispensables, moins pour mesurer la rentabilité d’un investissement public, que pour permettre l’adaptation future des dispositifs de vidéoprotection et l’évolution de l’action des services de police et de gendarmerie face à une délinquance mobile et réactive qui s’adapte très vite et s’organise pour contourner les obstacles qu’elle rencontre.
 
- Le Goff est sociologue à l’IAURIF, l’institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France, il est l’auteur de plusieurs analyses comparatives sur la question, dont une parue en octobre 2008 ; et Heilmann est maître de conférence à l’université de Strasbourg (voir un de ses papiers sur le sujet paru en 2008). 
—> Lire leur contre-expertise dans son intégralité, c’est affligeant
 
- Dans le billet déjà cité, Frédéric Ocqueteau réagit aussi vivement à ce rapport qui aurait sans doute mieux fait, pour la réputation de leurs auteurs et commabditaires, rester, comme d’autres, dans un tiroir marqué du sceau "confidentiel". 
http://numerolambda.wordpress.com/2009/10/05/rapport-videoprotection-bidon
 
- Le même rapport avait déjà été pris en flagrant délit de dopage caractérisé, comme l’a raconté en avri ldernier Bug Brother :
http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2009/03/23/videosurveillance-un-rapport-biaise/


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6 réactions à cet article    


  • Alpo47 Alpo47 10 octobre 2009 07:54

    Il y a, à mon sens, plusieurs objectifs derrière cette généralisation de la videoprotection.
    Tout d’abord, rassurer une part importante de l’électorat de droite, agé, et qui est demandeur de sécurité. Illusoire, on le voit, car les délinquants ont facilement trouvé les parades.
    Ensuite, et surtout, nous habituer, TOUS, progressivement, à être sous surveillance. Caméras, cartes de crédit, portables, hadopi ...
    Un pas de plus vers des sociétés où les citoyens sont sous controle , en tout cas sous surveillance.


    • Léo Réaguart moneyasdebt 10 octobre 2009 14:54

      Tout à fait d’accord, sauf sur un point : ce n’est pas une question de gauche ou de droite, la surveillance généralisée dont vous parlez se met en place dans tous les pays occidentaux, quel que soit le parti au pouvoir...les Etats ne nous laissent pas le choix, même nos bulletins de vote ne changeront rien à cet état de fait...


    • foufouille foufouille 10 octobre 2009 09:45

      big brother is watching you !


      • Léo Réaguart moneyasdebt 10 octobre 2009 14:56

        Dans mon quartier, tous les dealers connaissent par cœur l’emplacement des caméras...


        • Mr Pigeon Mr Pigeon 11 octobre 2009 09:54

          Soyez rassurez citoyens, l’État veille sur vous.
          http://www.bakchich.info/Indect-relegue-Orwell-dans-la,08907.html

          HADOPI + ECHELON = INDECT


          • capucine 11 octobre 2009 21:26


            ***Mais à quand donc des caméras de surveillance dans les ministères, ambassades, préfectures d’où disparaissent chaque année des « Trésors Nationaux » jamais retrouvés

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