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Attentat du 13 mai 1981 : le pardon d’un Saint

« Jésus est un ami exigeant, qui indique des objectifs élevés et qui demande que l’on sorte de soi-même pour aller à sa rencontre. "Celui qui perdra sa vie pour moi et pour l’Évangile la sauvera" (Marc 8, 35). Cette proposition peut paraître difficile et, dans certains cas, elle peut faire peur. Mais, je vous le demande, vaut-il mieux se résigner à une vie sans idéaux, à une société marquée par des inégalités, des excès de pouvoir et des égoïsmes, ou au contraire, chercher généreusement la vérité, le bien, la justice, en travaillant pour un monde qui reflète la beauté de Dieu, même au prix de devoir affronter les épreuves que cela comporte ? » (Jean-Paul II, discours aux jeunes, le 26 mai 2002 à la cathédrale de Plovdiv, en Bulgarie).

Imaginez qu’un inconnu veuille vous tuer. Il parvient à vous atteindre d’une balle dans le corps. Par une chance extraordinaire, vous en réchappez. Que pouvez-vous imaginer comme relations futures avec votre apprenti assassin ? Le tuer à votre tour ? Le haïr ? Le mépriser ?

Ce jeudi 13 mai 2021, fête de l’Ascension pour les catholiques, est un anniversaire un peu particulier. Il y a quarante ans, le pape Jean-Paul II a été victime d’une tentative d’assassinat. C’était un mercredi, le jour habituel de l’audience générale devant 20 000 fidèles. Il circulait dans une voiture sans protection (la "papamobile" avec vitres blindées n’a été construite qu’à la suite de cet attentat) pour saluer la foule de la place Saint-Pierre de Rome quand un jeune homme de nationalité turque tira deux fois sur lui.

Je préfère généralement me focaliser sur la victime à m’arrêter sur le criminel, mais dans ce cas-là, il est intéressant à connaître ce jeune homme, Mehmet Ali Agca, qui était recherché par la police turque car il avait assassiné un journaliste le 2 février 1979 (Abdi Ipekçi, le directeur d’un journal influent). Il n’était pas seul, il a eu des complices dont un qui devait envoyer une grenade dans la foule juste après les tirs pour faire diversion par la panique et permettre de s’enfuir vers l’ambassade de Bulgarie, mais le complice n’a rien fait comme prévu et s’est enfoui dans la foule, les deux personnes ont donc été rapidement arrêtées.

Le criminel a expliqué en particulier : « Pour moi, le pape était l’incarnation du capitalisme dans son ensemble. ». Ce qui est une phrase de grande ignorance : au contraire, le pape est par essence "anti-capitaliste". Pour en être convaincu, il suffit de relire l’encyclique Rerum Novarum qui a été promulguée par le pape il y a cent trente ans.

Par chance, aucun organe vital ne fut touché et Jean-Paul II a survécu après une très longue opération en gardant des séquelles. C’était le jour anniversaire de la première apparition de la Vierge de Fatima (le 13 mai 1917), ce qui l’a conduit à se croire sous sa protection. Il alla plusieurs fois à Fatima, la première fois dès le 13 mai 1982. Il fit même incruster une des balles qui a failli le tuer dans la couronne de la statue de cette Vierge (en fait, pas tout à fait, voir le paragraphe suivant). À l’occasion du passage au nouveau millénaire, Jean-Paul II révéla d’ailleurs le 26 juin 2000 que cette tentative d’assassinat était prédite par le troisième secret de Fatima qui fut connu de Sœur Lucie le 13 juillet 1917.

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Le cardinal Angelo Soldano, Secrétaire d’État du pape, déclara le 13 mai 2000 : « Après l’attentat du 13 mai 1981, il apparut clairement à Sa Sainteté qu’il y avait eu "une main maternelle pour guider la trajectoire du projectile" permettant au "pape agonisant" de s’arrêter "au seuil de la mort" (Jean-Paul II, "Méditation avec les évêques italiens depuis l’hôpital polyclinique Gemelli", Insegnamenti, vol. XVIIII, 1994, p.1061). À l’occasion d’un passage à Rome de l’évêque de Leiria-Fatima de l’époque, le pape décida de lui remettre le projectile, resté dans la jeep après l’attentat, pour qu’il soit gardé dans le sanctuaire. Sur l’initiative de l’évêque, il fut enchâssé dans la couronne de la statue de la Vierge de Fatima. ».

Le pape avait été élu seulement deux ans et demi auparavant, le 16 octobre 1978. Un pape jeune (il allait avoir 61 ans lors de l’attentat), polonais, qui sera l’un des plus longs de l’histoire de l’Église catholique (le troisième plus long derrière …saint Pierre et Pie IX), un pape essentiel dans la déconstruction du communisme international, l’un des symboles forts de la chute de l’URSS, et aussi l’un des papes importants des rencontres œcuméniques, qui a fait des centaines de voyages dans le monde pour rencontrer tous les humains de la terre, parlant des dizaines de langues. Ce pape-là, il aurait pu trouver la fin du voyage dès ce 13 mai 1981 à cause d’un extrémiste assassin.

Au premier semestre de l’année 1981, le contexte international était particulier. Celui encore de la guerre froide, avec une victoire de la gauche en France, la nomination de ministres communistes dans le gouvernement français, mais aussi celui du développement de l’islamisme politique avec un premier foyer en Iran, et aussi l’attentat contre le nouveau Président américain Ronald Reagan, futur leader de la déréglementation de l’économie mondiale.

Comment aurait été le monde sans Jean-Paul II à partir de 1981 ? La question mérite d’être posée et c’est la raison pour laquelle la fameuse "piste bulgare" a eu de si nombreux défenseurs, même si aucune instruction judiciaire n’a pu aboutir, n’ayant aucun élément prouvant quoi que ce fût. La piste bulgare fut proposée par l’auteur de l’attentat lui-même, revendiquant son commanditaire parmi les services secrets bulgares, eux-mêmes sous commande du KGB de l’URSS à l’époque dirigée par Brejnev. L’idée était d’éliminer un pape polonais qui risquait de mettre en péril les régimes communistes en Europe. Jusqu’à maintenant, aucun élément n’a permis d’établir un seul fait allant dans ce sens, y compris avec l’ouverture des archives après la chute de la dictature communiste en Bulgarie.

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Comme dans tout événement "mystérieux", les hypothèses les plus folles ont pu courir, comme un crime de la mafia italienne, etc. Il est plus probable que ce fût l’œuvre d’un déséquilibré, certes activiste d’extrême droite, condamné à mort puis à la prison à vie en Turquie mais évadé et réfugié en Bulgarie, d’autant plus que Mehmet Ali Agca, musulman, s’est converti le 13 mai 2007 au catholicisme et s’est autoproclamé le "Christ éternel" prêt à assassiner le pape François (à qui il avait demandé une audience en novembre 2014) si Dieu le lui demandait… À la mort de Jean-Paul II, le 2 avril 2005, il avait voulu assister à ses funérailles (demande refusée par les autorités turques), et il s’est rendu au Vatican fleurir la tombe du saint pape le 27 décembre 2014.

Le procès de Mehmet Ali Agca a eu lieu très rapidement, du 20 au 22 juillet 1981. Il a plaidé l’acte isolé d’un fanatique religieux. Il fut condamné à la réclusion criminelle à perpétuité avec un an d’isolement, et fut gracié par le Président italien Carlo Azeglio Ciampi, extradé en Turquie le 14 juin 2000, où il retourna purger sa première peine transformée en peine de 10 ans de prison. Il est sorti définitivement de prison le 18 janvier 2010. Il est libre et a aujourd’hui 63 ans.

Dans son message adressé le 18 octobre 1996 à l’occasion de la Journée mondiale des malades qui allait avoir lieu le 11 février 1997 à Fatima, Jean-Paul II a écrit : « L’invitation de la très Sainte Vierge Marie à la pénitence n’est que la manifestation de sa sollicitude maternelle envers la condition de la famille humaine, en demande de conversion et de pardon. ». Pardon, le mot est lâché. Car ce qui a été le plus important dans cet attentat du 13 mai 1981 contre le pape Jean-Paul II, ce n’est même pas qu’il en ait réchappé, ce fut sa réaction sortant de l’ordinaire.

C’est là qu’on peut comprendre a posteriori qu’il était un "saint" (un vrai, canonisé le 24 avril 2014). En effet, la réaction de Jean-Paul II fut plus que de pardonner son agresseur criminel, elle fut de sympathiser avec lui et avec sa famille. Le 27 décembre 1983, il a même fait un acte absolument exceptionnel : le pape est allé rencontrer Mehmet Ali Agca dans sa prison italienne et a discuté avec lui. Jusqu’à sa mort, Jean-Paul II a continué à entretenir des liens avec Mehmet Ali Agca et sa famille, notamment sa mère et un frère.

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À l’issue de son entrevue, Jean-Paul II a déclaré à la presse : « Ce dont nous avons parlé restera un secret entre lui et moi. Je lui ai parlé comme à un frère à qui j’ai pardonné et qui a mon entière confiance. ». En fait, la situation était moins idyllique que montrée. Selon Mgr Mieczyslaw Mokrzycki, archevêque de Lvov, en Ukraine, qui fut l’assistant du futur cardinal Stanislas Dziwisz, le secrétaire particulier de Jean-Paul II qui se trouvait dans la voiture avec le pape lors de l’attentat, le pape était plutôt déçu de cette rencontre : « Ni repentir, ni regret, il n’a pas prononcé le mot pardon. » (dans "Le mardi était son jour préféré" sorti en avril 2010).

Mgr Stanislas Dziwisz, devenu l’archevêque de Cracovie, a révélé en 2014, quant à lui, que Jean-Paul II fut victime d’une seconde tentative d’assassinat en mai 1982 lors de sa visite à Fatima, un homme l’a blessé avec un poignard et fut vite maîtrisé, cet événement ne fut pas ébruité.

La réaction d’un saint, face au traumatisme d’un attentat, ce n’est pas seulement ne pas avoir peur, c’est de pardonner et de considérer qu’en chaque humain, aussi criminel soit-il, il y a un cœur qui peut être racheté. Je ne sais pas ce qu’il en est de la rédemption de Mehmet Ali Agca, mais il est sûr que la traduction de cette idée sur le plan politique est extrêmement révolutionnaire !

Lors de son voyage en Bulgarie du 23 au 26 mai 2002, Jean-Paul II a par ailleurs affirmé qu’il n’avait jamais cru à la "piste bulgare" et il a déclaré, lors d’une rencontre avec les jeunes à la cathédrale de Plovdiv le 26 mai 2002 : « Abattez les barrières de la superficialité et de la peur ! (…) Goûtez la joie de la réconciliation dans le sacrement de pénitence. (…) Ne cédez pas aux flatteries et aux illusions faciles du monde, qui se transforment bien souvent en tragiques déceptions. C’est dans les moments difficiles, dans les moments d’épreuve, vous le savez, que l’on mesure la qualité des choix. Il n’existe pas de raccourci vers le bonheur et la lumière ! ». Oui, le pardon, c’est la seule voie de la réconciliation. On n’est jamais canoniser par hasard…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (13 mai 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Rerum Novarum.
L’encyclique "Rerum Novarum" du 15 mai 1891.
La Vierge de Fatima.
L’attentat contre le pape Jean-Paul II.
Pierre Teilhard de Chardin.
L’Église de Benoît XVI.
Michael Lonsdale.
Pourquoi m’as-tu abandonné ?

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6 réactions à cet article    


  • Laconique Laconique 13 mai 2021 16:00

    Merci pour cet article.


    • Clark Kent Séraphin Lampion 13 mai 2021 16:08

      Monsieur et Madame Deux ont appelé leur fils « Jean-Paul ». (Monsieur et Madame Lepape ont appelé le-leur ’« François ».


      • ZenZoe ZenZoe 13 mai 2021 16:19

        Oui, John Lennon aussi a pardonné. Le pardon, y’a que ça de vrai.


        • Clocel Clocel 13 mai 2021 18:53

          Encore un coup de Poutine...


          • stef 13 mai 2021 19:58

            Ali Agca était probablement un mercenaire ( il avait d’ailleurs tué auparavant un journaliste ) et le commanditaire était probablement l’URSS qui voyait d’un très mauvais oeil ce pape progressiste et anticommuniste


            • ETTORE ETTORE 13 mai 2021 23:49

              C’est fou, parce que en France, nous avons eu, et encore très récemment, plusieurs saints, qui, malheureusement, n’ont pas eu l’occasion de pardonner à leurs assassins.

              Mais bon, Rakoto, ou, qui que ce soit, nous apprend l’humilité face au destin indomptable.

              Chose, dont lui, ignore, jusqu’à son écriture même !

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