La technique est tissée de nature
Tout le monde partage l'idée prométhéenne selon laquelle l’homme domine la nature. Cela fait partie de l’inconscient humain, que les hommes y pensent ou non, qu’ils en parlent ou non, qu’ils connaissent ou non le mythe grec de Prométhée : L'Homme fait obéir la Nature pour qu'Elle le serve, ce qu’elle fait plus ou moins gentiment (il faut plus ou moins de travail, donc de temps… pour trouver les biais, mais cela finit toujours par arriver). Cette représentation a produit le monde dans lequel nous vivons. Depuis le début des sciences et des techniques, cette représentation ne correspond pas à ce qui se passe.
L'idée prométhéenne est tellement valorisante pour les hommes qu’ils ne résistent guère au désir de la croire vraie : Quand on voit voler un avion, on peut avoir l'impression que la loi de la gravitation est feintée. Il n'en est rien. Un avion s'appuie sur la Terre par l'intermédiaire d'un coussin d'air, comme les oiseaux. Et la loi scientifique de la gravitation universelle n'en est pas affectée.
Jusqu'à notre époque, le fait que notre perception prométhéenne des sciences et des techniques soit erronée ne nous a pas gênés, ne nous a pas empêchés d'agir et de progresser.
Cependant, nombre de difficultés (pollutions, l'acidification des océans, réchauffement climatique, etc.) nous arrivent que nous ne savons comment aborder parce qu’elles n’ont pas d’antécédents. Ces problèmes écologiques ne sont pas comme faire voler des avions quand on voit voler les oiseaux. Les accepter fait, en soi, réticence et débat. Au moment où j’écris, trois ouragans courent en même temps dans l’Atlantique nord. L’un a une force « théorique » : on avait prévu qu’un ouragan pouvait avoir cette force mais on n’en avait encore jamais eu. Il bat le précédent record détenu par Haiyan en 2013. Nous appelons cela des catastrophes naturelles. Les spécialistes prévoient qu’il y en aura d’autres, et des pires. Et nous parlons peu des moussons excessives, catastrophiques de l’Asie.
Nous sommes dans la narration des détails : les morts, les évacuations, les maisons, les infrastructures détruites, les pillages et bien sûr la question « combien ça coûte ? », qui devrait être « combien coûtent les réparations ? ». La Nature n’est plus une ressource, elle devient une charge.
La question « combien ça coûte ? » continue l’idée que l’activité de l’homme maîtrisera cette difficulté inédite. Les discours les plus fréquents établissent que le pouvoir d’agir est dans les mains des politiques (et qu’ils nous trahissent, ce sont les deux faces de la même médaille). Interroger nos propres comportements, notre propre avidité, notre sentiment prométhéen n’est pas dans les mœurs éditoriales.
Si la perception prométhéenne ne fonctionne plus c’est parce que nous avons atteint, grâce à elle, les limites de notre planète.
Un certain nombre de déchets dont nous n'avions pas à nous occuper, la planète les absorbant et les recyclant, restent et stagnent tout près de nous. Un tanneur qui rejette des produits toxiques dans la rivière ne crée pas de transformation sensible de cette rivière. Mais trois tanneurs, mais dix mais cent ?... mais pendant trois cents, cinq cents ans ? Ce sont les pollutions. Avec les pollutions, le réchauffement de l'atmosphère, et avec le réchauffement, des ouragans à tout détruire.
La planète est en train de devenir impropre à la consommation (de ses ressources gratuites, non gardées, disponibles). Elle va devenir impropre à la vie.
La technique est tissée de nature. Tout ce que les hommes fabriquent est de la Nature aménagée ! Il n’y a pas de roues dans la nature, néanmoins, une voiture ne sort pas seulement de l’intelligence des hommes, elle ne peut exister qu’avec du métal, de l’air nécessaire à la combustion du pétrole transformé en essence, l’eau du refroidissement… Les hommes n’ont pas inventé l’expansion à la combustion du pétrole. Ils l’ont trouvé et s’en sont servi.
La Nature a raison. Elle a raison parce qu'on ne peut pas la raisonner. La raison de la Nature, c'est le réel. Nous en faisons partie et nous n'avons pas de prise sur lui. Nous en sommes enchevêtrés, nous pouvons mentalement démêler un « humain » qui serait externe et dominant et une nature qui serait comme un cheval obéissant. Sauf que les choses ne sont pas ainsi, n’ont jamais été ainsi et que nos abus le font apparaître.
Nous avons cru dominer, nous n'avons jamais dominé. Nous le voyons (nous devrions le voir) maintenant.
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