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Eurofighter, les effets désastreux d’une gestion de projet déraisonnable (2/2)

Pour le NGF, plutôt que de s'acharner à essayer de 'contribuer', dans les domaines d'excellence de Dassault, ne convient-il pas à l'Allemagne et à l'Espagne de prendre leur part d'innovation, dans ces domaines à forts défis ?

Plutôt que de se focaliser sur la 'perte' de compétences, plus limitée que lorsque Aérospatiale a rejoint AIRBUS il y a des décennies, n'est-il pas plus pertinent de se concentrer sur les domaines très maîtrisés ?

Et plutôt que de s'exposer à la suspicion permanente de vouloir à tout prix copier le savoir-faire unique de Dassault Aviation, n'est-il pas plus motivant de développer tout ce qui est vraiment nouveau, à inventer ?

Réaliser un projet à 3 pays peut, à certaines conditions, être extrêmement positif, passionnant pour tous, et déboucher sur des succès commerciaux très valorisants. Et dans certains cas, la synergie est telle que travailler à plusieurs donne des résultats très supérieurs à ce que chacun aurait obtenu de son côté. Et avec une économiede ressources !

Mais cela suppose une confiance entre les acteurs, qui ne peut pas exister si à chaque instant l'autre est suspecté de vouloir copier son savoir-faire unique !

Même si l’Allemagne et l’Espagne n'accroissent pas leurs compétences en commandes de vol et autres domaines d'excellence de Dassault Aviation, ils pourront continuer à utiliser, sur l’Eurofighter, ces compétences propres et leurs éventuels acquis en propriété intellectuelle et industrielle (pour continuer à développer l’attaque au sol - air to ground- par exemple). Alors que lors de la création d’Airbus, cela n’avait pas été le cas pour Sud Aviation - Aérospatiale, il n’y avait pas d’autre projet d’avion en développement, et la 'perte' était donc autrement plus sérieuse !

D’ailleurs, si ce savoir-faire des allemands et espagnols est si précieux, ne pourraient-ils pas déposer des brevets ? et intervenir hors Europe en conseil auprès des industriels des autres pays dans le monde qui développent actuellement des avions de combat ?

La situation n’est vraiment pas symétrique, puisque Dassault Aviation (DA) a depuis des décennies patiemment élaboré des savoir-faire et peaufiné des tours de main incontestables, se traduisant par des succès à l’export (déjà 273 Rafale à l'export, soit 152% des commandes par la France, versus au mieux 151 Eurofighter exportés, soit 28% des commandes des 4 pays).

Grâce à un Rafale déjà très abouti, classé le plus souvent comme n°1 dans les évaluations internationales (voir la vidéo excellente : Le Rafale, meilleur avion du monde), parfois n°2, cumulant des avancées objectives, des atouts et résultats déterminants, nombreux et variés comme par exemple :

  • un avion très réussi dès le début, extrêmement polyvalent, qui a remplacé 5 types d’avion dans les flottes françaises (Mirage F1, Mirage 2000, F-8 Crusader, Super Étendard, Etendard IVP) + 2 types déjà remplacés par le Mirage 2000 (Jaguar, Mirage IV) ; il remplacerait tout aussi aisément dans d’autres flottes les F16 et F18 américains, le Mig21 russe, les Gripen, Tornado et Eurofighter européens
  • c’est non seulement un excellent avion multirôle, mais il peut aussi déjà effectuer plusieurs missions lors d’un même vol, un seul Rafale pouvant remplacer 2 à 3 Mirage 2000, selon les missions (Air Air, ou Attaque au sol)
  • une version navale, à peine différente, atterrissant sur Porte-Avion (PA) grâce notamment à une vitesse d’approche de moins de 120 nœuds, contre environ 150 pour le Mirage 2000 (et l’Eurofighter probablement), et avec une bonne marge de sécurité en dépit de conditions atmosphériques dégradées, même si la piste du PA bouge beaucoup, grâce à des commandes de vol extrêmement performantes
  • plus de 80% de pièces communes entre les 3 versions du Rafale (monoplace, biplace, Marine), ce qui facilite grandement la logistique et l’entretien, et qui diminue les coûts
  • une ‘architecture ouverte’, qui permet par exemple de remplacer le radar Pesa par un radar Aesa (très performant) en une heure seulement, y compris sur les avions déjà fabriqués. Ce qui fait que le nouveau radar Aesa est déjà déployé dans les flottes françaises, ce qui n’est pas le cas pour les Eurofighters britanniques, allemands, italiens et espagnols
  • un entretien simplifié, plus facile et rapide, moins cher, y compris sur PA (Porte-Avion) : les américains ont été sidérés, sur un de leur PA, de constater un échange très rapide d’un réacteur (en une heure environ), et seulement par un tout petit groupe de techniciens
  • une interface homme-machine conçue depuis des décennies avec des pilotes de l’Armée de l’Air ou de la Marine : le cockpit pilot-friendly rend l’avion simple à l’utilisation, malgré la très grande complexité et la très grande étendue des capacités
  • un emport exceptionnellement élevé, par rapport à une masse à vide limitée
  • des progrès en cours de développement, par exemple une connectivité encore plus élevée et une maintenance prédictive (standard F4).

Au passage, l’architecture ouverte du Rafale, qui permet le remplacement rapide d’un équipement d’avionique par un autre, plus récent en général, est un excellent exemple de l’excellente conception de l’avion, ouverte sur l’avenir. Prenons une analogie : de même le marché unique européen permet des possibilités bien plus intéressantes que les standards du passé volontairement choisis différents, pour chacun des acteurs économiques, par l’existence d’un standard ouvert : par exemple l’écartement des rails différent en Espagne et en Russie pour essayer de se protéger de la concurrence étrangère.

A contrario, sur un Eurofigter, le remplacement de l’ancien radar par un radar Aesa est une opération très compliquée, très longue, et extrêmement coûteuse (70 M$ par avion, pour 40 exemplaires britanniques de l'Eurofighter, décision en août 2022), ce qui explique en grande partie pourquoi il n’est pas encore déployé dans ces pays européens.

Et tout ceci pour un coût maîtrisé (voir Le vrai prix d’un Rafale ), contrairement à l'Eurofighter (voir Les leçons tirées des coopérations internationales (en aéronautique) (3/4) et Les leçons tirées des coopérations internationales (en aéronautique) (4/4) ainsi que les auditions à l'Assemblée Nationale de Charles Edelstenne,en 2004 et en 2012)

 

Au vu de cette longue liste d’atouts et preuves indiscutables, la demande des deux pays n’est-elle pas aberrante, disproportionnée ? : les allemands et espagnols ont-ils prouvé leur capacité à réussir un avion aussi abouti, aussi polyvalent et aussi ‘capable’, utilisable sur PA, tout en ayant plus de 80% de pièces communes ?

Cette pleine réussite de DA n’est-elle pas la preuve par a+b des savoir-faire extrêmement pointus de DA, en optimisation fine, globale, sur un grand nombre de domaines ? Pour pouvoir faire "les bons compromis sans compromettre les qualités de vol, ni les capacités les plus essentielles de l’avion".

Ne convient-il donc pas de capitaliser sur les compétences ‘sensibles’ de DA, en confiant à l’avionneur français le leadership sur les 6 ‘Work Packages’ (lots de travail) critiques, ceux qui permettront à la fois de tenir le périmètre (notamment un avion également naval), les coûts et les délais ? (voir la vidéo, audition de Eric Trappier, au Sénat, le 10 mars 2021)

Et les concessions faites par la France et DA ne sont-elles pas plus que suffisantes, pour garantir un programme NGF à la fois maîtrisé (en périmètre, coûts et délais) et passionnant à réaliser par tous ?

Se focaliser sur les commandes de vol et autres domaines d’excellence de DA, n’est-ce donc pas un combat d’arrière-garde, perdu d’avance et donc inutile ? Au mieux, l’expérience des deux pays en avions de combat concerne le Tornado et l’EF Typhoon, alors que Dassault Aviation fait voler un nouvel appareil de cette taille tous les 5 ans en moyenne (Falcon, nEUROn, Rafale, sans compter les versions du Mirage2000).

Ainsi, confier les commandes de vol du chasseur à un industriel allemand / espagnol qui maîtrise ce domaine plus ou moins bien ne donnerait pas la certitude d’un résultat équivalent à celui de DA, et ce choix ne permettrait in fine ni d’aller plus vite, ni de coûter moins cher.

Rappelons-nous, Marcel Dassault insistait beaucoup pour que la fabrication des commandes de vol ne soit jamais sous-traitée, même si cela aurait coûté moins cher : il avait très bien conscience que c’était un domaine d’excellence de Dassault, que c’était le cœur du savoir-faire si particulier de l’avionneur français.

De plus, les résultats déjà impressionnants du Rafale n’empêcheront pas d’autres progrès plus tard sur le NGF, grâce à l’apport des ingénieurs allemands et espagnols, qui constituera avec celui des français le ‘forgound’ (acquis collectif obtenu dans le cadre du NGF et du SCAF). Le bon sens ne consiste-t-il pas à capitaliser sur ce qui fonctionne déjà de façon excellente, pour se concentrer sur ce qui n’existe pas encore ? N’est-ce pas exactement ce qui a été recherché lorsqu’il a été acté par les trois pays de s’appuyer sur la logique du ‘meilleur athlète’ ?

 

Principe des commandes de vol électriques Conclusion  : le programme Eurofighter a peut-être donné le sentiment à de nombreux ingénieurs allemands et espagnols qu’ils développaient à 100% un avion de combat au top mondial, très bien. Mais c’est désormais inutile : il n’y aura pas la place en Europe pour un autre avion que le NGF et l’éventuel Tempest. Ne convient-il donc pas, au plus tôt, d’arrêter « d’investir » dans des capacités maîtrisées par d’autres, souvent en se contentant d’imiter ?

Ne vaut-il pas mieux, pour l’Allemagne et l’Espagne, se concentrer sur ce qui peut encore être amélioré sur l’Eurofighter ? L’écart avec le Rafale est trop grand pour pouvoir être rattrapé, mais certains éléments essentiels (attaque au sol par exemple) peuvent être complétés, pour obtenir des ventes à l’export significatives.

Et n’est-il pas plus sage et plus sûr de se lancer au plus tôt dans les nombreux et passionnants défis à relever, qui ne sont pour le moment que défrichés par tous ? Le sentiment de « perte » en Espagne et Allemagne ne sera-t-il pas alors moins élevé que celui des ingénieurs d’Aérospatiale qui ont dû se résoudre à ne plus développer les savoir-faire dans les ailes et empennages des Airbus ?

La motivation des salariés du GIE puis de l’entreprise Airbus Group n’a-t-elle pas été plus importante que le repli sur soi et l’arc-boutement sur des capacités qui existaient ailleurs ?

N’a-t-il pas été très enthousiasmant pour les salariés très qualifiés d’Airbus de grignoter, lentement mais sûrement, les parts de marché par rapport aux 3 géants états-uniens d’alors (Douglas, Lockheed, Boeing), au point de devenir le n°1 mondial 30 ans après ?

Et, de même, la fierté de contribuer à un NGF et à un SCAF extrêmement innovants ne sera-t-elle pas plus importante, plus valorisante, comme celle des ingénieurs de toute nationalité qui participaient aux réussites des programmes d’Airbus et constataient ces avancées bien visibles ?

L'auteur sait bien que ces remarques peuvent faire sourire ;-) , mais il connait bien les ambiances du genre start up, et cela tranche vraiment par rapport aux entreprises habituelles, et encore plus par rapport aux ambiances détestables ! Et un tel esprit, une telle ambiance, peut aussi exister dans les entreprises classiques, si le projet est vraiment motivant.

AIRBUS et AIRBUS Hélicoptères, comme les autres succès européens, par exemple dans le secteur spatial (ARIANE par exemple) et de la défense (missiles MBDA, dont METEOR par exemple), n’ont-ils pas montré que les européens pouvaient écrire des pages d’histoire aéronautique passionnantes, et réussir ensemble au moins aussi bien que les ingénieurs d’outre atlantique, les entreprises de chaque pays se consacrant à une part limitée de l’ensemble ainsi réalisé ?

 

De plus, de nombreux systèmes innovants ont montré que les industriels européens étaient capables de trouver ensemble des solutions techniques performantes à des problèmes très ardus, comme :

  • GALILEO, plus précis et performant que le GPS états-unien et qui présente en plus l'avantage d'être conçu pour être dual civil / militaire, et totalement interopérable avec le GPS
  • la norme GSM qui avait permis aux industriels européens de produire des téléphones mobiles de façon rentable en Europe, Nokia devenant même le numéro un mondial à cette époque
  • le système de signalisation ferroviaire ERTMS très performant qui permet l'interopérabilité et la sécurité des trains européens roulant sur des lignes internationales et même nationales,

ce qui permet d'être confiant sur l'avion NGF, et le SCAF, système de systèmes à concevoir, extrêment sophistiqué.

 

Première partie de l'article : Eurofighter, les effets désastreux d’une gestion de projet déraisonnable (1)


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