Refusons tout enracinement politico-religieux
Il revient d’une manière récurrente sur le tapis médiatique, comme dans les discours de Nicolas Sarkozy à Rome et ailleurs, la référence aux racines chrétiennes de la France (mais aussi dans les textes européens les racines religieuses et/ou philosophiques de l’Europe).
Ce n’est pas tant le fait, en effet historique, des sources chrétiennes et/ou philosophiques de(s) la culture(s) française(s) et de celles de l’Europe qui pose problème, mais précisément que l’on fasse de ces sources, des racines. Quelle est le différence entre les deux termes ?
Cette différence réside dans l’opposition de sens qu’il y a entre un héritage dont on peut disposer comme on l’entend, y compris en le refusant, en le dilapidant, ou en le transformant profondément en une racine immuable qui nous lie(rait) à jamais à une prétendue identité culturelle et/ou idéologique invariante, qui donc nous enracinerait dans une identité religieuse ou philosophique qu’il nous serait interdit de remettre en question. Ce terme de « racines » a toutes les caractéristiques d’une assignation performative, comme disent les linguistes, à une essence éternelle qui transcende(rait) l’histoire. De même que le fait de déclarer mari et femme un couple signifie que le mariage n’existe que par cette déclaration, prétendre que nos racines sont chrétiennes (ou autres) c’est prétendre que chaque Français est, par cette déclaration même, chrétien, et engagé à l’être ou à le (re)devenir ; c’est affirmer qu’il doit être reconnu et se reconnaître comme tel, ce qui lui confère le devoir de suivre les commandements moraux prétendument divins du christianisme et de ceux qui ont le monopole de droit divin de leur énonciation : les églises. Cela vaut, chez nous, particulièrement pour l’Eglise catholique qui reste la plus monarchique (de droit divin) de toutes les églises chrétiennes dans le domaine éthique et moral, voire parfois encore politique (avortement, contraception, recherche sur l’embryon humain à finalité thérapeutique, mariage civil des homosexuels, homoparentalité, etc.).
Or affirmer que des racines historiques d’une population sont chrétiennes (ou autres : musulmanes par exemple), c’est affirmer cela non seulement comme une déclaration performative, mais aussi comme un fait incontesté sinon incontestable, c’est-à-dire définir un norme comportementale religieuse ou idéologique déterminée comme une vérité historique objective, à laquelle on ne peut et on ne doit pas se soustraire ; c’est faire d’une norme religieuse particulière une norme valant pour tous, alors même qu’elle ne vaut que pour les croyants (et encore, plus en théorie qu’en pratique). C’est ce tour de passe-passe logique entre fait et norme qui est tout à la fois antilaïque et antidémocratique. Antilaïque, car dans une société qui ne reconnaît pas de (et ne se reconnaît pas dans une) religion officielle, une racine religieuse n’a aucune valeur politique, sauf à revenir sur le caractère non religieux de l’Etat dont le chef doit obligatoirement être le garant. Antidémocratique car une démocratie est nécessairement pluraliste et doit respecter, à travers son chef et ses déclarations officielles (et elles le sont toutes) cette pluralité des références idéologiques, ce qui interdit de faire d’une religion ou d’une idéologie particulière une norme morale et encore moins politique uniformisante.
À cet égard il est faux d’affirmer comme une vérité historique que le christianisme soit (serait) la seule référence idéologique constitutive de l’identité culturelle de la population (ou mieux des populations) française(s). Nous savons que notre histoire est marquée par une lutte, non seulement entre plusieurs interprétations du christianisme, mais surtout entre une vision cléricale de la vie sociale et une conception laïque, voire antireligieuse de la vie politique. La philosophie des Lumières par exemple est, en France particulièrement, animée par un fort mouvement rationaliste contre tout ce qui a été appelé par Condorcet la superstition ou l’obscurantisme religieux, particulièrement contre le pouvoir non seulement spirituel mais temporel de l’Eglise catholique. Nous sommes en tant que Français tout autant marqués par nos origines chrétiennes que par la lutte pour les Droits de l’homme dont notre démocratie est l’héritière directe et en particulier par celui de penser contre la religion dominante. Il faut se souvenir que les Droits de l’homme n’ont pu historiquement s’imposer que contre les prétendus droits divins et/ou royaux qui se réclamaient d’eux. Vouloir ressusciter de prétendues racines chrétiennes porte donc le risque de voir resurgir ce conflit violent que la loi de 1905 avait fini par apaiser dans le sens de la tolérance et de la raison dialoguante, dans le sens de l’intérêt général et donc de la République.
C’est dire qu’il nous revient, en tant que démocrates et républicains, de rejeter le notion de « racines » qui nous fixe dans une identité, à la fois fausse historiquement et perverse dans ses conséquences politiques, au profit de celle de « sources » au pluriel, y compris contraires, qui nous ont libérés de tout fanatisme et de toute vision théocratique de la vie et de la pratique politique, bref des guerres interminables des dieux et des religions.
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