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D’une image sur l’autre, l’ébahissement continu, l’interprétation diminue

A l’heure de l’hyperconsommation des informations, la qualité des médias est un tabou très fort, comme le montrent le peu d’émissions ou d’articles de presse consacrés à une ébauche de critique. Partant de ce constat, et d’une erreur grossière de forme relevée par mes soins sur le site du « monde.fr » (Portfolio / Géoportail, destination vacances : image n°7 du diaporama, le « viaduc de Millau » ! Et quel viaduc !...), j’ai écrit une réflexion plus générale au courrier des lecteurs du « monde » et au médiateur afin que le site « lemonde.fr » corrige son erreur. Ce qui est surprenant, voire très inquiétant, c’est que les (re)lecteurs ne semblent rien avoir constaté depuis près de deux mois ! Ou encore que personne ne tienne rigueur de cette erreur de forme, comble pour une image ! Depuis mon courrier du 1 septembre, ce n’est toujours pas corrigé, parions que cela va encore durer... Le compteur est plus que lancé... Voici donc mon courrier, que je retranscris ici en entier.

D’une image l’autre, l’ébahissement continu, l’interprétation diminue

La multiplication des images est symptomatique de notre époque. Naguère, c’était les sons, ou les écrits. Pour interpréter une parole ou un texte, encore faut-il comprendre le sens des mots prononcés à l’aide du code approprié qui est associé à un langage donné. Cette étape de décodage se fait instinctivement dans la langue dite maternelle. Pour d’autres canaux sensoriels, dans un contexte non maternel, la traduction/interprétation peut être plus laborieuse.

Parmi les grandes fonctions d’interactions informationnelles humaines, les cinq sens, la vue est celle qui mobilise le plus le système cognitif. La contrepartie de cette dépense d’énergie au niveau du cerveau confère aux images une singularité, un avantage diront certains, d’être saisissables au premier abord par des personnes de toutes langues, et même aux ignorants, si l’analphabétisme peut être classé dans l’ignorance. Il suffit de pénétrer dans la moindre église de France et de Navarre pour trouver des exemples montrant comment ce principe a été exploité pour véhiculer des idées. L’accumulation des images est donc une manière de faire passer un message.

A l’heure de l’hypermédiatisation des images, catastrophiques, comme le 11 septembre 2001, ou pseudo-émotives, telle la mort accidentelle d’un ours, quel peut être le message ?
Profitant de la sortie des GoogleEarth et Geoportail, tout un chacun a la possibilité de surfer sur quelques coins de Paris, des Alpes... via Internet, c’est sympa... Un esprit pseudo-curieux du monde est donc enthousiasmé de voir d’autres lieux de la Terre vue du ciel, suivant la mode popularisée par Yann Arthus-Bertrand. Le site du Monde propose ainsi aimablement de lui mâcher la tâche, destination vacances. Suivons le guide. Très bien, c’est sympa, des lieux touristiques. Enfin, c’est dommage, pour les vacances, le découvreur drogué du dernier scoop pouvait légitimement s’attendre à la photographie de la gare d’un péage autoroutier, du style « Gare de péage de Saint-Arnoult (78) » qu’on trouve au sein des « lieux remarquables » sur le site Géoportail.fr d’ailleurs. Mais c’est étrange, c’est presque vide de voitures, pas de bouchon, c’est une image presque vide de sens ?

La corde sensible, pour qu’une image émerge et puisse capter l’attention d’un cerveau disponible pour la mémoriser pleinement parmi le flot incessant qui sature l’environnement actuel, semble être la différenciation. Ceci est l’assurance/garantie d’un succès massmédiatique optimal. Tout le monde le dit. Principe marketing de base, quitte à tomber dans la provocation, la technique enfantine dont la mise en œuvre dans l’histoire la plus récente fourmille d’exemples, qui fonctionnent très bien pour un risque quasi nul. Quels exemples ? Ouvrez les yeux, aujourd’hui plus personne ne va dans les églises, mais tout le monde prend le métro. Enfin, pas exactement tout le monde... Atteindre les restes des cerveaux des primates que nous sommes est relativement simple. Depuis longtemps, la publicité consomme l’image de la femme en la surimposant partout. Sa forme est belle, elle tient scientifiquement de l’harmonie parfaite du nombre d’or, et sa rareté réelle est l’essence même de la magnification d’un produit quelconque dans l’image d’un bon produit.

Car finalement, tout l’essentiel est bien là, la forme. Un viaduc est un gros pont, sur l’image on voit un pont. L’émotion est bien passée, par des mots associés à une image déjà gravée, imprimée, numérisée et encodée bien profondément dans les inconscients individuels/collectifs. Le viaduc de Millau est un chef-d’œuvre du génie français, un des plus grands viaducs à haubans du monde. L’image n’est pas un viaduc ? L’image ne montre-t-elle pas un pont minuscule ? Bon, après tout c’est une simple erreur de fond. Le message est quand même entièrement passé, un message non rationnel, un beau message émotionnel.

Et le fond de l’information dans tout ça, la forme, sur l’image qui n’est pas un viaduc ? Disons que c’est peut-être un peu comme celle du monde, la Terre est belle depuis des années, peu importe ce que les hommes écrivent comme histoires dessus, l’essentiel est qu’elles soient contées. D’une image l’autre... celle du "monde" se dégrade très doucement, pathétiquement, comme une sorte de reflet terni des mirages médiatiques dans lesquels les pseudo-élites de toutes sortes se complaisent à (nous) tourner en rond. Continuez, continuons, et regardons/consommons ébahis par les images... A quoi bon encore signaler et compter les erreurs grossières de fond ou de forme ? Les non-sens et contradictions grotesques à l’intérieur d’une même phrase sont devenus des spécialités cycliques savamment entretenues par la numérisation/industrialisation du copier-coller. La périodicité du gavage d’informations connues tend à se réduire, tout comme le temps de mémoire maximum de la société humaine. C’est simplement un phénomène bouclé sur le miroir des sujets traités dans les journaux TV : les bouchons automobiles, l’achat des cartables pour les gentils petits écoliers...

L’interprétation, et encore plus l’ébauche d’une critique objective, de la singularité d’une information visuelle est rendue inopérante/absconse par l’émotion. Les sondages sont une vérité absolue, la globalisation aussi. On le voit bien, et partout, on n’a pas le choix. Comme pour l’Europe, on n’a pas le choix, sinon ce sera terrible. Terrible comment, au juste ? Comme une religion surfaite qui s’effondre peut-être, c’est terrible uniquement pour l’ordre ecclésiastique en gros.

Et un jour, quand c’est trop petit, l’information véritable s’extrait du message émotionnel, trop c’est trop. Et le cerveau arrive malgré tout à retrouver un semblant d’indépendance par rapport aux informations qu’il reçoit. En attendant, sachons profiter des émotions véhiculées dans les messages, ouvrons très grand nos yeux. Regardons géoportail, encore et encore, et regardons les belles villas sur les bordures de la Méditerranée... Voilà, nous sommes pseudo-aveugles, et nos cerveaux, disponibles pour ce qu’ils connaissent déjà.

Pour conclure, je souhaite que ce courrier bénéficie d’un minimum de transparence et qu’il suscite des réflexions sur le fond de la forme des messages informationnels massmédiatiques. Malheureusement, ne pas couper la branche sur laquelle on est assis, les images, pour ne pas tomber et se remettre en cause au contact du fond, c’est le dogme social actuel. Ne fermons donc pas les yeux, comme ça tout va bien. Paradoxal ? Rome est éternelle... Enfin, son image.

L’ancien.

P-S : Voici l’image incriminée (lemonde.fr), l’image originale d’où lemonde.fr a tiré ces photos aériennes (géoportail.fr), puis une photo extraite du site officiel du viaduc de Millau permettant de faire le lien entre l’image du pont du Monde et la réalité !
La photo aérienne de géoportial.fr a tout simplement été prise lorsque le viaduc était en début de construction !

L’image du Monde, magnifique émotionnellement.
pseudo_viaduc
L’image de « Géoportail.fr », première perception perplexe ?
le_vrai_viaduc

L’image royale qui montre comment le fond derrière l’image est bien bas en réalité, malgré la hauteur émotionnelle autosuggérée/induite par le couple du message informationnel viaduc de Millau/image quelconque d’un pont.
les_deux
http://viaduc.midilibre.com/gallery/viaduc-v2-1/Clavage_g_n_rale


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11 réactions à cet article    


  • haina (---.---.23.129) 21 septembre 2006 14:50

    L’image incriminee montre bien l’emplacement du viaduc. Mais il semblerait que celui-ci ne soit pas encore construit a la prise !! En regardant les courbes routieres vous retrouverez le petit pont sur la photo dite du vrai viaduc.


    • Vincent 21 septembre 2006 15:43

      D’autre part sur le site du Géoportail, on peut voir l’ébauche des piliers principaux du viaduc de part et d’autre des rives. En bas à droite.


    • Sam (---.---.201.61) 21 septembre 2006 18:06

      Si j’ai bien compris, on s’attend à voir le Viaduc et on voit pas qu’on a le Pont. T’as voulu voir Honfleur...

      Notre oeil perd de sa sélectivité, saturé, blasé, injecté sans arrêt de doses d’images récurrentes...

      C’est vrai et c’est aussi vrai qu’Arrêt sur Images et la boutique de Schneidermmann, un des rares dans le créneau critique, fut rien moins que serviteur, quand il invita Messieur, Mister J6M, dans son émission. Ce que nous montra avec une carnassière jouissance Pierre Carles, dans Pas vu, pas pris.

      Donc, ce que dit l’auteur du texte est encore plus vrai.

      Il n’y a personne pour garder les gardiens et vraiment personne pour empêcher les tropiques de devenir tristes.


      • gem (---.---.117.250) 21 septembre 2006 18:57

        bon, ok, j’ai compris. y’a une erreur, un ancien petit pont routier — donc, bel et bien UN viaduc A Millau, ou à coté en tout cas, présenté comme « LE viaduc de Millau ». Le stagiaire ou le journaliste a vu un pont vu d’en haut, il n’a pas cherché plus loin, et il est passé à la suite de son diaporama. Son chef n’a rien regarder, ou il n’a rien vu si il a regardé. Bon.

        Et alors ?

        Et alors L’ancien nous en a fait des tonnes pour CA.

        Bof...


        • (---.---.113.155) 21 septembre 2006 21:40

          on aimerait relancer le debat, c’etait bien parti mais ca reste , bof... L’idee qu’il n’y pas quelque chose comme un « complot » mais de la simple negligence me plait vraiment trop bien. L’ auteur corrige t-il aussi les fautes d’ortaugrafe de ce tres « serieux journal ».en tout cas l’article est tres bon.


        • leo (---.---.140.173) 22 septembre 2006 06:46

          Pas la peine d’en faire des tonnes. Il suffisait d’indiquer « Chantier du Viaduc de Millau »


          • (---.---.155.248) 22 septembre 2006 11:13

            C’est Yves.

            Avec toutes ces digressions disant qu’en fait c’est un pont tout en n’étant pas un pont sans être un pont, et qu’en plus le monde serait plus beau si c’était un pont, j’ai rien compris.

            Ce serait possible de résumer la différence que tu vois entre le pont d’une photo et le pont d’une autre photo ?

            En fait je pense que tu as voulu prendre cet exemple abscons pour disserter sur le pouvoir de l’image, ses racines physiologues, son poids sémantico-culturel et son importance machin-truc. Mais on s’y perd un peu.

            Yves.


            • (---.---.107.65) 22 septembre 2006 11:37

              A Millau, actuellement, il y a 2 ponts : le viaduc, énorme, tout nouveau tout beau que c’est la fierté de la France, sur lequel passe l’autoroute, et l’ancien pont, tout nabot, sur lequel passe une petite route (ce que l’on voit très bien sur la photo « normale »).

              Le Monde a publié cet été un portfolio de photographies aériennes des lieux remarquables en France. Parmi ces lieux a été choisi le Viaduc de Millau. Or, la photo publiée représente l’ancien pont, tout petit. Quand on regarde sur le site de Géoportail la photo originale qui a été utilisée, on se rend compte qu’en fait, elle date du début de la construction du viaduc, on voit les 2 gros piliers non loin du petit pont. La photo publiée dans le Monde est simplement un zoom sur le petit pont, qui donne l’impression que c’est le Viaduc, quand on est conditionné par le texte qui nous annonce celui-ci.


            • (---.---.107.65) 22 septembre 2006 11:20

              Très bon article.

              L’internaute trop pressé surfant sur ce portfolio du Monde fait penser à ces adeptes du tourisme express, qui s’efforcent de voir tout ce qu’ils croient qu’il fallait voir, tout ce qui est mis en avant par les guides, mais sans jamais aller en profondeur, et sans chercher à vérifier l’authenticité de ce qu’ils voient. C’est d’autant plus humiliant que je suis allé voir cette photo sur le site du Monde cet été et n’ai pas remarqué l’erreur.

              L’important, semble-t-il, n’est pas de voir les choses telles qu’elles sont et selon notre plaisir, mais de voir ce qu’on nous dit de voir.

              Le fait que l’erreur n’ait pas été corrigée est assez inquiétant effectivement, vis-à-vis de l’exigence de vérité du journal.


              • L'ancien L’ancien 22 septembre 2006 12:54

                Merci d’avoir prit le temps pour ces commentaires. De mon coté, en bloc et chronologiquement :

                @ Sam : « Pierre Carles, Pas vu, pas pris »
                - connaissais pas, je vais essayer de le voir à l’occas, merci pour l’info.

                @ Gem : « un ancien petit pont routier »
                - non c’est un pont créé spécifiquement pour le chantier, pour faciliter la logistique du chantier des deux cotés de l’eau certainement (y’a pas de route traversant l’eau sur les cartes IGN de géoportail.fr).

                « Le stagiaire ou le journaliste a vu un pont vu d’en haut, il n’a pas cherché plus loin »
                - Effectivement, alors moi j’ai cherché plus loin : le lien du site géoportail.fr t’emmène direct sur un chantier de terrassement au milieu de la nature... Il faut alors commencer à bouger sa sourie (ou son cerveau) pour trouver un semblant de pont au milieu d’une vallée... avec un minimum d’effort, au lieu de s’ébahir, on distingue même des véhicules blancs sur la route d’accès sinueuse qui conduit au gigantesque « viaduc » !... Ou encore, suivant le cerveau, les deux poteaux de part et d’autre de l’eau (comme Vincent le souligne), avec même leurs grues respectives en rouge et blanc... Enfin, c’est le travail journalistique que j’attends, une ébauche d’enquête quoi, mais c’est peut-être pas nécessaire pour les cerveaux des clients habitués à consommer des émotions à la place des informations.

                [rien à voir, mais bon, quiconque a travaillé dans une boîte sait que la plupart du temps les stagiaires font du bon boulot, pour un coût ultra minime... c’est donc trop facile de disculper tout le monde (rédacteurs, lecteurs et consommateurs) dessus]

                - J’en fais des tonnes... effectivement... c’est juste une « petite » erreur, mais lemonde m’énervait vraiment depuis de très longtemps sur des milliers de petites choses si infimes... C’est un exemple parmi tant d’autre, cf les articles « scientifiques », « financiers » ou « économiques »... et si ça fait réfléchir un peu plus rationnellement les gens en face des informations, l’objectif est rempli.

                @ IP:xxx.x02.113.155,
                - Désolé pour les fans de la théorie de complots, mais on n’a pas besoin du tout d’un complot lorsqu’on montre une évidence fausse à des milliers de personnes qui gobent ça tranquillos comme des montons... d’aucuns ne s’en offusquent, parfait. Lorsque les erreurs de négligences sont plus subtiles, elles deviennent facilement des vérités pour tout le monde... Critiquer objectivement le déroulement d’un incident, prévisible ou non, au final bénéfique ou nuisible, ça peut servir à alimenter un retour d’expérience fort utile diront certains dans d’autres domaines industriels. Je ne sais pas ce qu’il en est pour l’industrie mass médiatique. Des négligences plus subtiles justement, y’en a certainement des milliers d’autres qui auto-entretiennent des contre-vérités sur des images non pas de ponts, mais des images d’idées... et si c’est comme dans le cas présent, je ne doute pas que ça passe encore mieux qu’une lettre à la poste.

                - Heureusement, et c’est peu dire, je ne suis pas correcteur d’orthogr@phe...

                @ Yves La différence ?! Le pont minus est annoncé comme un viaduc, c’est un peu comme assimiler les deux tours du WTC à Ground zero... Désolé pour les digressions, l’objectif est de faire réfléchir... et précisément dans ce cas on peut se perdre...

                Bon, pour finir, je répète... La photo aérienne de géoportial.fr a tout simplement été prise lorsque le viaduc était en début de construction ! Je répète encore une dernière fois... Ce qui est surprenant, voire très inquiétant, c’est que les (re)lecteurs (relecteurs et/ou lecteurs) ne semblent rien avoir constaté depuis près de deux mois ! Ou encore que personne ne tienne rigueur de cette erreur de forme, comble ultime pour une image ! Bref, je répète et le compteur tourne toujours...

                Conclusion : Pas vue, pas pris...

                L’ancien.


                • (---.---.123.46) 24 septembre 2006 15:46

                  Votre article est vraiment tres bon, je l’ai lu avec beaucoup d’interet mais qu’entendez vous par« image d’idee » ?

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